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Interview du Pr Valérie Cormier-Daire
Le Pr Valérie Cormier-Daire a accordé une interview pour l’AOI afin de nous faire partager son parcours de médecin généticienne, elle a en charge une équipe de chercheurs et s’est passionnée pour l’ostéogenèse imparfaite.
L’association est ravie d’être accompagnée par cette femme humble, douée dans la vulgarisation car toujours proche des patients et de leurs familles.
Pourriez vous nous dire un petit mot sur votre parcours, votre rôle au sein de l’hôpital Necker et aujourd’hui, votre implication dans l’Institut IMAGINE ?
Je suis Pédiatre Généticienne. J’ai choisi un internat de Pédiatrie puis je me suis spécialisée en Génétique à l’hôpital Necker Enfants Malades. J’ai ensuite réalisé une thèse de sciences dans le domaine des maladies mitochondriales, puis j’ai décidé de me spécialiser dans le domaine des Maladies Osseuses Constitutionnelles (MOC). Je trouvais qu’il s’agissait de pathologies complexes qui nécessitaient une prise en charge multidisciplinaire avec beaucoup d’intervenants, tout au long de la vie. Il y a 20 ans, peu de gènes à l’origine des MOC étaient identifiés. Il y avait une nécessité d’approche génétique reposant sur des analyses cliniques précises.
Je suis partie me former un an aux Etats Unis, à Los Angeles, chez le Pr Rimoin qui dirigeait alors un registre de pathologies osseuses. Je suis ensuite revenue à Necker, en 1998, dans le service du Pr Munnich qui m’a alors confié la direction d’une équipe de recherche, consacrée aux bases moléculaires et physiopathologiques des ostéochondrodysplasies. J’ai travaillé à l’époque avec le Dr Martine Le Merrer et le Dr Pierre Maroteaux qui étaient des experts sur le plan clinique dans ce domaine. Nous avons ensuite construit le Centre de Référence des Maladies Osseuses Constitutionnelles (CRMR MOC), que je coordonne aujourd’hui à Necker et à Imagine avec le Dr Geneviève Baujat. Nous avons mis en place un réseau de sites constitutifs et de centres de compétences. J’anime également la Filière Oscar (pour Os Calcium Cartilage) sur le plan national, afin également d’améliorer le diagnostic et le suivi des patients.
Depuis combien d’années faites vous partie du Conseil Scientifique de l’AOI et comment œuvrez vous avec et pour l’Association ?
Je fais partie du Conseil Scientifique de l’AOI depuis plus d’une dizaine d’années. Je suis en relation étroite avec Bénédicte Alliot et nous nous voyons régulièrement. Elle a fait partie du Comité de Direction de la Filière Oscar en tant que représentante des associations, impliquée par exemple dans l’organisation des journées annuelles de la Filière Oscar. Je participe également aux réunions du Comité Scientifique et aussi activement aux journées nationales de l’AOI. Nous avons une interaction bilatérale et nous nous appelons régulièrement, s’il y a un relais à établir afin d’améliorer le suivi et la prise en charge des patients OI.
Comment l’Ostéogenèse Imparfaite se situe par rapport aux autres recherches des maladies génétiques orphelines que vous étudiez ?
L’équipe de recherche travaille en lien très étroit avec le CRMR MOC et se consacre aux maladies osseuses constitutionnelles, afin d’en comprendre la physiopathologie et de développer de nouvelles perspectives thérapeutiques. J’ai choisi de travailler sur 4 groupes de pathologies différentes :
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- les ciliopathies squelettiques en rapport avec des anomalies du cil primaire
- les dysplasies acroméliques, en lien avec une anomalie de la voie de signalisation TGF Béta ;
- les chondrodysplasies avec luxations multiples, en lien avec un défaut de synthèse des protéoglycanes ;
- et enfin l’Ostéogenèse Imparfaite avec d’une part un projet portant sur l’identification de nouveaux gènes à l’origine de l’OI, et d’autre part un projet portant sur le développement de nouvelles perspectives thérapeutiques en s’appuyant sur des travaux de recherche que nous avions réalisés antérieurement et sur l’analyse d’un modèle murin Ostéogenèse Imparfaite. C’est donc un sujet à part entière dans notre équipe de recherche.
Pourriez vous nous donner une explication simple de la maladie ?
C’est une maladie rare mais qui est relativement fréquente dans le cadre des maladies rares. Elle atteint environ 1/10 000 patients aujourd’hui. Elle se caractérise par une fragilité osseuse. L’os est trop fragile par un défaut de masse osseuse et peut se fracturer face à un traumatisme mineur. Le motif principal de consultation est la fracture quasiment spontanée. L’os a également du mal à consolider.
Les manifestations de l’OI sont d’abord fractures, mais également douleurs, et déformations. Certaines formes l’ostéogenèse imparfaite vont se traduire par une insuffisance staturale, une hyperlaxité, une peau fragile/fine, éventuellement des anomalies dentaires, on parle alors de dentinogenèse imparfaite, et parfois une surdité.
Ce qui caractérise l’ostéogenèse imparfaite c’est une très grande variabilité avec certains enfants qui auront quelques fractures et rien d’autre, et d’autres cas au contraire où l’on fera le diagnostic beaucoup plus tôt pendant la grossesse avec des formes très sévères. Cette grande variabilité a conduit à proposer une classification des formes d’ostéogenèse imparfaite.
Quels sont les symptômes et les conséquences physiques ?
Les symptômes sont essentiellement des fractures, des douleurs, des déformations. Il peut y avoir des tassements vertébraux. La maladie peut entraîner difficultés à la marche, déformation thoracique et insuffisance respiratoire dans les formes sévères. Elle peut également s’accompagner de retard statural, d’anomalies dentaires (dentinogenèse imparfaite), de surdité et de sclérotiques bleues.
L’Ostéogenèse Imparfaite est en rapport le plus souvent avec un défaut de synthèse ou de maturation d’une protéine très importante de la matrice extra-cellulaire qui s’appelle le collagène de type I. Cette anomalie entraine un défaut de production osseuse par les ostéoblastes, cellules responsables de la synthèse et de la minéralisation des os. Les symptômes sont directement liés à cette diminution de masse osseuse.
Comment est-ce que l’ostéogenèse imparfaite affecte un individu sur sa vie de tous les jours ?
Essentiellement douleurs, fractures possibles face à un traumatisme minime, difficulté éventuelle de marche. Dans les formes les plus importantes, difficultés respiratoires, déformations, incurvations.
Combien de personnes sont atteintes en France aujourd’hui ?
Nous sommes en train de faire une étude épidémiologique pour répondre à cette question ; c’est une des missions de la Filière Oscar.
Aujourd’hui qu’existe-t’il en matière de soins ?
L’Ostéogenèse Imparfaite doit être prise en charge de façon très attentive. Le premier traitement de l’OI est la rééducation fonctionnelle, essentiellement la kinésithérapie, qui sont cruciales pour le développement musculaire, la mobilisation, et la déambulation. Ce sont vraiment les éléments les plus importants au long court. Elles peuvent s’accompagner de séances de balnéothérapie qui sont très bénéfiques.
La prise en charge orthopédique est très importante pour les fractures avec des chirurgiens experts dans un centre de référence ou de compétence, avec des innovations technologiques constantes.
Une supplémentation en Vitamine D est également prescrite. Dans les formes sévères, douloureuses, avec fractures itératives et tassements vertébraux, on peut proposer des traitements médicamenteux. Le traitement proposé en particulier en période pédiatrique est un traitement par bisphosphonates qui inhibent les ostéoclastes, cellules responsables de la résorption osseuse. Ils vont ainsi entraîner un excès d’os par défaut de résorption osseuse sans jouer sur la formation osseuse produite par les ostéoblastes. Ces bisphosphonates sont souvent administrés par cures en perfusion en pédiatrie. Ce sont des traitements lourds, répétés, et après une longue période de traitement, ils modifient la structure de l’os qui a une qualité anormale. C’est un traitement efficace qui a vraiment amélioré la prise en charge des patients, en particulier pour les douleurs, les tassements vertébraux et les fractures mais qui peut rendre la chirurgie orthopédique plus compliquée en raison de la qualité de l’os qui devient trop dense et qui a des limites en particulier parce qu’il cible l’ostéoclaste.
Quelles sont les dernières évolutions de la recherche en la matière ?
L’idée aujourd’hui serait de trouver un traitement qui ciblerait les ostéoblastes. En effet, les bisphosphonates ciblent l’ostéoclaste et donc bloquent la résorption osseuse : l’os n’a pas une qualité idéale. Avec un traitement qui cible l’ostéoblaste (formation osseuse), on aurait alors un os de bien meilleure qualité.
Entre petite enfance, adolescence et vie adulte… y a t-il des étapes importantes dans l’évolution de la maladie et les répercussions des soins ?
C’est une question très importante parce qu’il y a des périodes où l’on est plus susceptible de se fracturer parce que l’on bouge plus, parce que l’on est plus actif. Cela est vrai pour la petite enfance et l’enfance. Tout dépend de l’activité de l’enfant. Pendant toute la période de l’enfance et de l’adolescence, on va essayer le plus possible que l’enfant bouge quand même, qu’il développe ses muscles pour améliorer la qualité de l’os et préserver ses capacités à se déplacer. On essaie le plus possible de conserver une vraie autonomie et une mobilité normale (je parle des formes assez sévères).
La second période difficile est la période de transition avec le passage de l’adolescence à l’âge adulte. Nous avons mis en place à Necker des consultations dites de transition avec une rhumatologue adulte qui prendra le relais ensuite . Nous avons également mis en place des consultations de transition sur sites adultes permettant le relais entre l’équipe pédiatrique et l’équipe adulte.
Nous avons enfin publié sur le site de la Filière Oscar un calendrier de suivi par tranche d’âge qui explique justement les éléments à surveiller en fonction de l’âge.
Aujourd’hui, en quoi la recherche au sein de votre laboratoire est-elle prometteuse ?
Nous avons identifié de nouveaux gènes responsables d’Ostéogenèse Imparfaite. C’est important pour le conseil génétique, mais également pour la recherche. Ces gènes codent pour des protéines qui interviennent dans différentes voies de signalisation qui peuvent ouvrir de nouvelles perspectives thérapeutiques.
Nous avons en parallèle développé un projet dont le but est d’arriver à un traitement ostéoformateur, qui cible l’ostéoblaste. L’histoire a commencé par l’identification de mutations « perte de fonction » dans un gène entrainant une maladie osseuse caractérisée par un os trop dense, probablement en rapport avec un excès de formation osseuse. Nous avons alors émis l’hypothèse qu’en bloquant ce gène dans l’OI, nous pourrions augmenter la densité osseuse.
Nous avons utilisé des molécules connues pour bloquer la fonction de ce gène qui avaient été générées pour une autre indication thérapeutique, mais qui avaient été abandonnées car sans efficacité pour cette indication. Nous avons testé l’efficacité de ces drogues dans des cultures in vitro d’ostéoblastes et dans un modèle murin «ostéogenèse imparfaite». Nous avons pu montrer dans notre modèle murin « ostéogenèse imparfaite » un effet très bénéfique sur la formation osseuse.
Nous avons donc une perspective très importante de traitement dit ostéoformateur qui cible l’ostéoblaste et c’est ce que l’on recherche dans l’ostéogenèse imparfaite.
Quels sont vos besoins pour aboutir à vos objectifs ?
Nous avons fait une étude de type « preuve de concept », puisque nous avons montré dans un modèle murin « ostéogenèse imparfaite », forme modérée, qu’il y avait une efficacité des drogues, sur la formation osseuse ce que l’on espérait.
Nous devons désormais tester ces différentes molécules dans une forme plus sévère de modèle murin d’ostéogenèse imparfaite. Nous devons aussi tester différentes doses pour essayer de trouver la dose optimale à utiliser, pour après transposer ce traitement en période pédiatrique, voire en période adulte.
Ce travail très important prendra plusieurs années, pour la détermination de la dose optimale de ces drogues et l’analyse de leur efficacité sur un modèle murin plus sévère ; en parallèle nous travaillerons à l’élaboration d’un essai clinique dans la période pédiatrique.
Pour ce projet, nous avons besoin aujourd’hui d’un chercheur post-doctorant qui sera dédié à ce sujet. Ce projet est très chronophage et demande rigueur, et expertise dans le domaine des ostéoblastes et dans l’utilisation des modèles cellulaires et animaux. Nous devons analyser de façon exhaustive l’effet bénéfique sur l’os dans tous les domaines (marqueurs osseux, morphologie, densitomètrie). Nous devons aussi vérifier qu’il n’y a pas d’effet secondaire. C’est un travail très approfondi, mais qui aura un débouché direct pour la prise en charge des patients.
Dans un monde idéal, nous avons besoin de recruter un chercheur «post-doctorant » pour 2-3 ans. Le plus vite possible sera le mieux. En même temps d’un minimum de financement pour monter ces études, mais c’est surtout le recrutement humain qui est très important.
Vous qui fréquentez tous les jours ces enfants confrontés à cette maladie, pourriez vous nous dire comment vivent ils l’annonce du diagnostic ?
C’est toujours extrêmement compliqué de se retrouver projeté dans le monde hospitalier lorsque l’on a juste envie d’une vie d’enfant. Avoir en tête la possibilité de se fracturer pour des traumatismes minimes c’est très difficile à accepter.
L’important est de préserver une vie normale d’enfants avec la pratique régulière d’une activité sportive régulière. Il faut aussi qu’un réseau de proximité et de spécialistes soit mis en place, qui accompagnera l’enfant et les parents s’il arrive le moindre évènement : une fracture, mais également pour la vie quotidienne, la vie scolaire ….
Je pense que ce qui doit rassurer l’enfant c’est qu’il n’est pas seul. Il est entouré, évidemment par ses parents, mais également par une équipe médico-chirurgicale qui le soutient. Dans toutes les pathologies génétiques c’est évidemment très compliqué pour l’enfant, mais aussi pour les parents. Tout ce parcours doit être accompagné le mieux possible par des équipes qui sont à l’écoute et présentes.
Entretien réalisé par Brian, chargée de communication à l’AOI en Juillet 2018.